Jean le Sauvage, un seigneur d'Escobecques au milieu des troubles de 1566


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Journées européennes du patrimoine 2010, Escobecques (Nord).

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Introduction

Au milieu du XVI ème siècle, la révolte gronde dans les Pays-Bas (qui correspondent alors aux territoires de la Belgique, du Nord de la France et des Pays-Bas actuels). Les causes en sont à la fois économiques, politiques (l’autoritarisme du roi d’Espagne, Philippe II, est mal accepté) et religieuses (le protestantisme se répand).

Jean le Sauvage, Seigneur d’Escobecques et de Ligny, est l'un des principaux chefs principaux des « Gueux ». Et il joue un rôle important durant l’été 1566, au moment où une vague iconoclaste submerge le pays.

C'est pourquoi, après avoir replacé les évènements de 1566 dans leur contexte historique, nous esquisserons le portrait de ce seigneur peu commun, grâce à des témoignages d'époque (mémoires de contemporains, dépositions, documents administratifs…).

1. Repères historiques.


Il faut avant tout rappeler pourquoi notre région était au XVI ème siècle sous occupation espagnole.


1.1. Généalogie de Charles Quint. L'empire de Charles Quint.

Charles Quint descend des comtes de Flandre ; il a reçu les Pays-Bas en héritage, héritage qu’il transmet à son fils Philippe II .

En 1506, à la mort de son père Philippe le Bel, il reçoit de ce qui reste de l’ancien duché de Bourgogne, c'est-à-dire les Pays-Bas et la Franche-Comté. En 1516, à la mort de son grand père maternel, le « Roi catholique » Ferdinand d’Aragon, il devient roi d’Espagne et domine la plus grande partie de l’Italie. Et en 1519, il hérite de son grand père paternel, l’empereur Maximilien, les territoires autrichiens.
L’empire est alors vacant. François Ier et l’empereur de Saxe sont candidats, mais Charles, soutenu par la banque des Fugger, distribue aux sept princes électeurs de fortes lettres de change, payables après l’élection ; c'est ce qui lui permet d'être élu empereur du Saint-Empire. Il prend à partir de ce moment le nom de Charles Quint.


Document 1 : Généalogie de Charles Quint.
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)



Philippe II, quant à lui, ne règne pas sur l’Autriche et le Saint-Empire1.


1.2. Les Pays-Bas sous Philippe II.

A l’époque des troubles, les Pays-Bas appartiennent à Philippe, à l'exception de la principauté de Liège, qui fait partie du Saint Empire.





















Document 2 : carte des Pays-Bas sous Philippe II
(Source : J. Isaac, Histoire 3ème)


1.3. Les Pays-Bas après l'indépendance des Provinces Unies.

Les provinces du Nord proclament leur indépendance pour former la République des Provinces-Unies (ce qui correspond à peu près aux Pays-Bas actuels). Elles sont majoritairement calvinistes, car beaucoup de calvinistes des provinces du sud s’y sont réfugiés pour fuir la persécution.

Les Pays-Bas restés espagnols sont quant à eux massivement catholiques. La recatholicisation du pays, qui s'appuie notamment sur la création de l’Université de Douai et la nomination de maîtres d’écoles dans chaque localité pour enseigner « la vraie Foi », vont en faire pour longtemps une citadelle du catholicisme.

Quand la Belgique est créée en 1830, la partie flamande (de langue néerlandaise) préfère rester avec la partie wallonne plutôt que de rejoindre les Pays-Bas : la question religieuse prime la question linguistique.


Document 3 : Carte des Pays-Bas espagnols et des Provinces Unies de 1581 à 1648.















A propos de la période espagnole, on peut faire deux remarques.

(1) Dans le Nord, beaucoup de noms de famille se terminent par -ez. Ce n’est pas, comme on le croit quelquefois, une trace de l’occupation espagnole, mais une graphie purement locale qui existait déjà au Moyen-Âge, bien avant la période espagnole (Rogez, Bouchez, Thorez, Duriez,…). Dans ces noms, -ez est l'équivalent de –et ou de –er. La liste des noms espagnols en -ez (Hernandez, Alvarez,...) est d'ailleurs restreinte (elle ne comporte qu'une trentaine de noms). On sait aussi, d’une part qu’il y a eu très peu de mariages avec des Espagnols, et d’autre part que les mercenaires espagnols étaient issus de tous les pays (et non seulement d'Espagne).

(2) Les Espagnols n’ont jamais imposé leur langue à la population. Les habitants parlaient le néerlandais et des patois flamands au nord, le français et des patois picards ou wallons au sud. Il y a très peu de mots espagnols qui sont restés dans les patois, contrairement à ce que l'on croit quelquefois. Le mot agosile (« vaurien »), par exemple, vient du terme arabe al wazir (« vizir », « conseiller »), qui est passé par le terme espagnol alquazil, tandis qu'un mot comme cayère (chaise) ne vient pas de l’espagnol mais directement du latin cathedra (qui signifie « chaire », en français médiéval).

1.4. Rappels historiques concernant le protestantisme.

On tend aujourd’hui à mettre l’accent sur les causes politiques et sociales de la révolte plutôt que sur ses causes religieuses, mais on saurait ignorer ces dernières, car c’est aussi au nom de leur foi que les insurgés prennent les armes. La nouvelle doctrine a un réel succès et il faudra une répression impitoyable pour la stopper.

Deux causes de cette révolte peuvent être mises en avant : d'une part la crise que traverse l'Église à cette époque et d'autre part le fait que la nouvelle confession répond aux aspirations des hommes de la Renaissance. Cela nous conduira à évoquer la question de l’iconoclasme.


1.4.1. La crise de l'Église à la fin du Moyen-Âge.

L'Église traverse une crise grave : les papes se conduisent plus comme des princes italiens soucieux de conquêtes militaires et d’accroissement de leurs richesses que comme des chefs spirituels (que l’on songe par exemple aux Borgia). Beaucoup de prêtres et de moines mènent une vie irréprochable mais ce n’est pas le cas d'une partie notable d’entre eux. Des voix s’élèvent de toutes parts pour réclamer un redressement moral. Parmi les plus célèbres des contestataires, Érasme et Lefebvre d’Étaples, lesquels resteront quand même dans l'Église ; mais pour d’autres, elle est irréformable de l’intérieur et il faut la quitter pour retrouver un christianisme fidèle à ses origines évangéliques.

C’est l’affaire des Indulgences qui va provoquer la rupture : le pape Léon X qui a besoin d’argent, fait vendre dans toute la Chrétienté ce que l’on appelle « des indulgences » : moyennant finances, le fidèle obtient un allègement de peines au Purgatoire pour lui-même, sa famille, ses amis, même si ceux-ci sont déjà décédés. Il faut noter que la doctrine des indulgences est toujours en cours dans l'Église Catholique (Catéchisme de Jean-Paul II § 1471) ; on insiste cependant davantage sur la prière que sur les dons. Cette pratique scandalise le moine Luther, qui va finir par s’éloigner de plus en plus de l’orthodoxie catholique jusqu’à l’excommunication. Calvin va radicaliser davantage la doctrine protestante, et c’est surtout le calvinisme qui va se répandre aux Pays-Bas. On surnomme ses adeptes les « sectaires ».

1.4.2. Le protestantisme : une doctrine qui répond aux aspirations de l’époque moderne.

Le second point que nous allons aborder nous obligera à nous pencher sur un aspect important du protestantisme, même s’il est hors de question, pour ne pas trop alourdir l’exposé, de présenter, même sommairement, la doctrine protestante.

Le concept d’individu commence à apparaître vraiment à la fin du Moyen-âge. On observe en effet une aspiration à se détacher de l’emprise du groupe social : famille, église, communauté villageoise, métier…, un désir d’exister en tant qu’individu libre et responsable. Or la nouvelle confession se caractérise surtout, nous semble-t-il, par une individualisation de la foi.

Toute religion présente un caractère collectif : rites, cérémonies… et un caractère individuel. Il semble que le catholicisme insiste davantage sur le côté collectif : religion très structurée par une église à laquelle le fidèle doit une adhésion inconditionnelle aux définitions doctrinales qu’elle produit. Chez les protestants, au contraire, l’aspect individuel domine : il n’y a pas de « pensée unique » et la diversité des opinions est considérée comme une richesse. C'est d'ailleurs aussi l'une de ses faiblesses, car c'est ce qui l'a amené à s'émietter en une multitude de mouvances différentes, même s’il subsiste un « esprit protestant » parfaitement identifiable.

Nous ne prendrons qu’un seul exemple pour essayer de justifier ce point de vue : la question de l’autorité, du fondement de la foi.

Pour le catholique, l’autorité c’est la Bible, mais aussi la tradition, c’est-à-dire essentiellement les écrits des Pères de l'Église, les conciles, les formulations doctrinales. Bible et tradition, inspirés par l’Esprit Saint, sont les fondements de la religion et, remarque très importante, seul le Magistère de l'Église, infaillible, peut interpréter le sens exact des Saintes Écritures ; en aucune manière le fidèle.

Pour le protestant, la seule parole de Dieu, c’est la Bible ; le reste est purement humain ; certes non dénué d’intérêt, mais humain, donc faillible. Il n’y a pas non plus d'Église pour en donner le sens. Le croyant, inspiré par l’Esprit Saint, y puise par la prière sa nourriture spirituelle, ce qui est le principe du libre examen. Le pasteur est un fidèle comme les autres ; il est simplement plus compétent que les autres parce qu'il est plus instruit en exégèse et théologie. C’est un guide.

Voici un exemple qui éclaire cette différence entre les protestants et les catholiques : le dogme de la Trinité. Le catholique l’accepte parce que l'Église l’a formulé et qu’il lui fait confiance, tandis que le protestant l’accepte parce qu’il a vérifié que ce dogme était conforme, selon lui, à la Bible. Ce dernier refusera par contre le de dogme de l’Immaculée Conception (la position catholique qui affirme que la vierge a été préservée du Péché Originel) parce qu’il n’en trouve aucune trace dans les Écritures ; l’argument suprême et décisif, c’est pour le protestant le texte biblique. On peut invoquer d’autres textes, mais seulement s’ils ne font que confirmer le texte biblique.

Dans le domaine moral, l'Église catholique définit aussi une orthopraxie : elle élabore une morale qu’elle dicte au fidèle lequel se doit de la mettre en pratique. Le protestant, par contre, ne reconnaît d’autre morale que celle que lui dicte sa conscience de croyant. D’où les divergences à propos de problèmes éthiques comme la contraception, l’avortement, ou l’euthanasie (entre catholiques et protestants, mais aussi entre les protestants).

Il nous semble donc que la nouvelle religion a dû son succès au fait que l’individualisation de la foi répondait à un besoin de l’époque.


Document 4 : l'Institution de la religion chrétienne par Jean Calvin.


1.4.3. L’iconoclasme.

Peut-on représenter Dieu par des images (statues, peintures, dessins) ? Le Judaïsme et l’islam y sont opposés. Le christianisme, quant à lui, a longtemps hésité avant de le permettre, et l’une de ses mouvances, le protestantisme, s’y oppose car il y voit un risque d’idolâtrie et une survivance de paganisme pré-chrétien. Si les protestants respectent la Vierge et les Saints comme des modèles de vie chrétienne pour les fidèles, ils se refusent à leur vouer un culte, à les invoquer pour obtenir leur intercession. Ils condamnent en particulier la vénération des reliques.

Quoiqu'ils n'appellent pas à détruire «  les images », c’est pourtant ce qui arrive quelquefois, et notamment au cours de l’été 1566, quand des « extrémistes », les iconoclastes (en grec : « briseurs d’images »), saccagent églises et couvents. Les causes de ce geste ne sont pas uniquement religieuses (idée selon laquelle les images seraient païennes, et donc diaboliques). Alors que la crise économique réduisait une majorité de « petites gens » à la famine, le luxe des églises, des chapelles privées et des couvents était perçu comme une intolérable provocation. Par contraste, la pauvreté des prédicants évangéliques et l’austérité des temples protestants (dénués de toute image et dans lesquels même la Croix est représentée sans le corps du Christ) leur a sans doute attiré de la sympathie.

Document 5 : carte des Pays-Bas au XVIème siècle ; la révolte des Gueux.


1.5 La révolte des « Gueux » (1555-1609).

Charles Quint avait écrasé le pays d’impôts et proclamé des édits rigoureux contre les protestants (les « placards »). Bien souvent, ils étaient condamnés à la peine de mort : décapitation pour les hommes, fosse pour les femmes (enterrées vives) et bûcher pour les relaps (terme qui désigne ceux qui sont retombés dans l’hérésie). Les peines ont été appliquées, mais sans doute pas toujours rigoureusement puisqu'il lui faut rééditer une dizaine de fois ses édits.

Mais Charles Quint est né à Gand et a passé sa jeunesse à Bruxelles. C’est un Flamand qui ménage les privilèges des métiers et les franchises des villes et qui a l’habileté de laisser aux nobles locaux un certain pouvoir.

Tout change avec Philippe II, qui a reçu une éducation toute espagnole et qui vit à Madrid. Il connait peu les Pays-Bas, qu’il a confiés à sa demi-sœur, la gouvernante Marguerite de Parme. Catholique intransigeant, il est bien décidé à « extirper l’hérésie » une bonne fois pour toutes ; et surtout, monarque absolu, il enlève tous les pouvoirs aux nobles locaux. Le véritable pouvoir est entre les mains de personnes qui lui sont entièrement dévouées, à commencer par le cardinal de Granville, un homme détesté qui finira par être renvoyé en Espagne.

Les habitants souffrent de la crise économique, qui se trouve aggravée par les exactions que commettent les garnisons espagnoles envoyées par Philippe II. Les nobles finissent par former une ligue dite « du Compromis ». Après avoir vainement essayé de proposer leurs requêtes le 5 avril 1566 à Marguerite de Parme (doc 4 ,5), ils décident de s’insurger en prenant sous leur protection les protestants et en brandissant comme un étendard le sobriquet de « Gueux » dont ils avaient été affublés lors de l’entrevue de Bruxelles avec la gouvernante. Tout le pays va se soulever et la crise iconoclaste de 1566 est un épisode de cette lutte.














Document 6 : Les nobles de la ligue du compromis (dont le Sauvage) pénètrent dans le palais de Marguerite de Parme à Bruxelles pour négocier
(Source : revue « Belgia » n°5)


La répression ne tarde pas. En 1567, Marguerite de Parme, jugée sans doute trop laxiste, quitte ses fonctions et le duc d’Albe pénètre aux Pays-Bas avec 12000 mercenaires, qui mettent le pays à feu et à sang. Albe instaure un tribunal d’exception, le Conseil des Troubles, vite surnommé « le Tribunal du sang ». Chaque jour ont lieu des arrestations, des tortures, des exécutions et des bannissements (se trouve concernée une dizaine de milliers de gens). Parmi les victimes prestigieuses, on trouve le comte d’Egmont (entre autres Seigneur d’Armentières), resté catholique, et le duc de Horne, passé à la Réforme.

Goethe a écrit une pièce de théâtre sur ces évènements intitulée Egmont, pour laquelle Beethoven a écrit une ouverture ainsi que quatre morceaux d’entracte. Au XIXe siècle, Charles de Coster a rédigé les Légendes et les aventures joyeuses de Thyl Eulenspiegel, un classique à la littérature belge, qui a pour toile de fond la Révolte des Gueux.


Document 7 : premier massacre de protestants à Bruxelles.


Ce vitrail représente les deux premiers martyrs protestants exécutés à Bruxelles, sur la Grand-Place, en 1523. Il s'agit de Jan Vanesch et d'Henri Voes. Le vitrail est en dépôt dans le temple de Tournai. Depuis 1958, le temple est dans les maisons romanes, au 12-14 rue Barre Saint Brice. Cf. : http://itineraireprotestant.over-blog.com/photo-1312755-premiers-martyrs--bruxelles-_jpg.html


Document 8 : le comte d'Egmont.        Document 9 : le prince d'Orange.
  

Document 10 : l'exécution du comte d'Egmont.



Relevé de ses fonctions en 1573, Albe retourne en Espagne. Son successeur, Recquesens, va adopter une politique de détente pour pacifier le pays. Après encore des années de guerre, le sud du pays restera à l’Espagne tandis que le Nord se déclarera « République des Provinces Unies » en 1609.


2. Jean le Sauvage : 












Un seigneur lettré bien de son temps.


2.1. La seigneurie d'Escobecques au Moyen-Âge.

Il faut rappeler qu’une seigneurie est une propriété foncière qui inclut le droit de justice sur ceux qui y vivent. Elle se compose généralement de la réserve, que le Seigneur exploite directement ou non, et de tenures (terres concédées aux manants). Il peut exister plusieurs seigneuries sur un même terroir et, inversement, un seigneur peut posséder plusieurs seigneuries en divers lieux.

Nicolas de Scaubeke était possesseur de la seigneurie d'Escobecques en 1214, mais les premiers seigneurs vraiment connus sont les descendants d’un « changeur » (banquier) de Lille anobli, d’Escaubecques, dont les armoiries, « trois trèfles d’or sur fond simple », sont encore celles du village. En 1484, Jacques Régnier, le dernier de ses descendants, doit vendre sa seigneurie à un personnage important : Jean le Sauvage, qui est à la fois conseiller du roi de Castille, président de la chambre des comptes de Lille, chancelier de Charles Quint et propriétaire d’une manufacture de tapisseries à Bruges.

Né à Bruges en 1455 et décédé en 1518 à Saragosse, Jean le Sauvage est l’ami de l’humaniste Érasme, avec lequel il entretient une correspondance (ce qui, à l'époque, peut lui valoir d'être considéré comme « subversif »). Dans ses Mémoires, Jean Noël Paquot écrit en 1770 : « Erasme n’a pas épargné l’encens à Sauvage, soit qu’il l’en jugeât digne, soit que des raisons d’intérêts l’y aient porté, car il avait de grandes obligations à ce Magistrat».

Le Sauvage porte « l’azur à trois têtes de licorne avec cols d’argent ».


Document 11 : l'une des Douzièmes pièces d'un ensemble de tapisseries exécutées pour la collégiale Saint-Anatoile-de-Salins (Jura).


2.2. La famille de Jean le Sauvage.

Document 12 : généalogie de Jean le Sauvage.


Quelques remarques concernant cette généalogie :

- Les titres. Le chevalier n’est plus l’homme d’armes à cheval et l’écuyer n'est plus le jeune homme d’armes vivant dans son entourage, comme c'était le cas au Moyen-âge. Ce ne sont désormais que des titres de noblesse.

- La naissance de Jean le Sauvage III. Un document peu sûr le fait naître en 1491. Il aurait donc été âgé au moment de la révolte.

- Extrait de l’ Épigraphie du Nord (Lille, 1901) : autrefois se trouvait dans l’église l'écusson Sauvage 445 : « Chy gisent noble homme Jehan le Sauvaige, en son vivant Seigneur d’Escaubecq, const et me des requestres de l’hostel de l’empereur Charles V, notre souverain sgr, et Delle Antoinette d’Oignies, son espeuse, dame en ce lieu, lesquels trespassérent à sçavoir led. St le 1er jour D’Aoust l’an 1550, et la dte Delle le XVIIe de juin 1531. Pries Dieu pour leurs âmes. »


2.3. Portrait de Jean le Sauvage.


2.3.1. Les évènements de 1566.

Les livres de S. Deyon et d’A. Lottin décrivent de manière très détaillée les évènements et en fournissent une analyse historique et sociologique. Nous y puiserons les renseignements qu’ils ont recueillis à propos du seigneur d’Escaubecques, en les replaçant dans le contexte de la crise.


Document 13 : carte de l'iconoclasme en 15664.
(Source : A. Lottin.)




Document 14 : carte de l'iconoclasme en 1566.






(Source : A. Lottin.)





Avant que n’éclate la crise, le Sauvage apparait une première fois quand, le 30 juillet 1566, il fait partie d’une délégation de nobles chargée de rencontrer la gouvernante. La rencontre est vive. La délégation se plaint que le roi n’a pas tenu ses promesses d’apaisement. En fait, il avait essayé de gagner du temps.

La révolte part de Steenvoorde le 10 août 1566. Le bruit avait couru que la gouvernante avait autorisé les prêches, mais seulement hors des villes. Après avoir écouté une prédication dans un champ (une « prédication de haies », Hagenspreken), une foule d’habitants met à sac un couvent. La vague iconoclaste s’étend du 10 au 18 août à toute la Flandre française actuelle, atteint la région lilloise et continue à submerger le pays. Si Lille résiste, des villes comme Valenciennes et Tournai sont prises et occupées. A la fin du mois la Hollande est atteinte.

Le Sauvage est cité une deuxième fois quand il est question du pays de Lallœu. Cette enclave a la particularité d’être une terre sans seigneur car les bourgeois de Laventie, La Gorgue et Lestrem ont acheté leur liberté au seigneur. C’est un alleu (terre libre). Elle sert de refuge provisoire aux calvinistes. Leurs chefs se réunissent régulièrement à Laventie dans la taverne de l’ « Aigle d’or ». Or, le 20 septembre 1566, une réunion rassemble catholiques et protestants pour tenter de négocier : contre la promesse de la construction de trois temples (Laventie, Richebourg, Sailly), la suppression des dîmes et la moitié des biens de la Table des Pauvres, les calvinistes acceptent de restituer les églises occupées. Ils n’obtiendront qu’un terrain à Laventie. Pendant que l’on discute, des catholiques font remarquer que l’on continue à vider les églises et à molester les prêtres. On rapporte que cela fait sourire le Sauvage. Il apparaît comme le chef des « sectaires » car à plusieurs reprises, c’est à lui que l’on s’adresse pour demander de donner l’ordre de faire cesser les violences (comme par exemple Desgardins, le curé de Fleurbaix). On rapporte ainsi qu’à la fin de la réunion, il ne fait plus aucune allusion aux promesses du roi : « L’automne et l’hiver s’annoncent rudes », aurait-il déclaré.

La suite va lui donner raison. Le Conseil des Troubles sévit : les requestres dudit Conseil font état de 12 302 condamnations (bannissements ou morts par l’épée, la fosse, le bûcher,...), et l’on sait que tous les condamnés ne sont pas répertoriés.

Mais c’est surtout par Pontus Payen, un contemporain que la personnalité de Jean le Sauvage va apparaître d’une manière plus précise.


2.3.2. Portrait de Jean le Sauvage par Pontus Payen.

Pontus Payen, magistrat d’Arras, est un catholique intransigeant, donc partial ; le portrait qu’il dresse de Jean le Sauvage est pourtant nuancé.








Document 15 : extrait des Mémoires de Pontus Payen. 
Texte en moyen-français avec des particularités picardes. 
Quand il estoit question de matière destat, il en discouroit gravement et 
subtilement, s’aidant fort à propos des reigles et maximes de Platon, 
Aristote, Démostène, Cicéron, Plutarque et Marciavel, sans oublier les 
singularitez qu’il avoit curieusement remarquées à la court de l’Empereur, 
France, Espaigne, princes d’Italie, d’Allemaigne, en la ville de Venise et 
cantons des Suisses. Au contraire, s’il falloit rire, c’estoit l’homme au 
monde qui récréoit le mieux, n’estant jamais despourveu de sornetets et 
propos facétieux puisez es œuvres de Lucien, Erasme, et maistre François 
Rabellais. Pour ceste cause estoit sur tous austres en la bonne grâce des 
seigneurs, et toujours bien venu es compagnies. Car il avait gaigné ce point 
qu’il povoit dire librement ce que bon luy sembloit, et rien n’estoit pris de 
mauvaise part,encore que ses discours fussent ordinairement remplis de 
mots picquans contre le Pape et les prélats de l’Eglise : et n’espargnoit le 
Roy mesmes quand l’occasion se présentoit, et tout estoit pris pour 
gausseries et propos facétieux de table. Mais l’évent nous a bien faict 
paroistre que c’estoit le feu qui commenchoit à se prendre, lequel, pour n’y 
avoir esté pourveu de bonne heure, a prins tel accroissement qu’il est 
impossible aujourd’huy de l’estaindre. » 

Document 16 : extrait des Mémoires de Pontus Payen. 
« Ces beaux discours se faisoient ordinairement à la table du prince 
d’Orainge, comte d’Egmont, Hornes et seigneurs principaux de la court, par 
le comte Ludovicq de Nassau, frère audit seigneur prince, Henry, seigneur 
de Bréderode, Escobeq, Saint-Aldegonde, Thoulouse et aultres de 
semblable farine : lesquels, outre la science des bonnes lettres où ils estoient 
assez bien versez, faisoient profession d’interpréter la Saincte-Escriture, 
aussi avant que les théologiens de Paris et Louvain, principallement messire 
François le Sauvage4, seigneur d’escobecq, personnage doué d’une 
éloquence admirable, qui a fait perdre une infinité de povres gentilshommes 
qui n’estoient assez rusez pour descouvrir le poisson mortel que couvroit le 
doux langage d’un tant brave discoureur. C’estoit l’homme le plus facétieux 
de la terre et qui mieux s’accomodoit aux humeurs des seigneurs, bien est 
vray qu’il estoit calviniste, mais non pas de ces songereux, chagrins et 
revesches évangélicques qui ont ordinairement la face morne, pasle et 
mélancolicque, signes évidens d’une conscience mal asseurée et esprit sans 
repos. 

Document 17 : extrait des Mémoires de Pontus Payen. 
Contre l’Inquisition aux Pays Bas. 
« Asseurez-vous que d’Escobecq, Thoulouse et Saint-Aldegonde, lesquels 
pour avoir demouré en Espagne, dépeindoient de telles couleurs 
l’inquisition du dit pays,que les meilleurs catholicques en avoyent horreur ; 
cause que bon nombre de gentilshommes qui avoient le cœur hault assis, se 
rangèrent avec les héréticques par un bon zèle qu’ils portoient à leur 
patrie. » 

(1) Le contexte. Les conjurés se réunissent les uns chez les autres pour discuter principalement de politique et de religion. Ils se considèrent comme lettrés et comme capables d’interpréter l'Écriture aussi bien que les théologiens des prestigieuses universités de Paris et de Louvain. Payen nous affirme qu’ils pratiquent le libre-examen (peut-être y a-t-il dans cette affirmation quelque ironie ?) ; ce sont donc bien des protestants. Il présente Jean le Sauvage comme le plus doué d’entre eux.


(2) Le portrait. On apprend que Jean le Sauvage est un orateur particulièrement éloquent et persuasif, qui a « perverti » bien des gens, et qu’il est spirituel et diplomate.

Suit un portrait du protestant-type conforme à l'idée que s'en fait le « Français moyen », d'ailleurs encore aujourd’hui (cf. : l'explication selon laquelle « l’austérité » de L. Jospin résulterait de son éducation protestante) : quelqu’un de grave, d’angoissé même, qui vit simplement, qui est l'ennemi du luxe et des plaisirs de la vie. Pour le catholique Payen, c’est évidemment le signe d’une mauvaise conscience, du pêché !

Or le Sauvage est tout le contraire de cela, s’étonne Payen : c’est un bon vivant et un lettré. Il connait tous les classiques de la philosophie politique, notamment les auteurs antiques, que l’on redécouvre à l’époque comme étant toujours d’actualité et qui ont un point commun : celui d'avoir dénoncé la tyrannie ! C'est le cas par exemple de Platon (Ve siècle avant JC), qui, dans La République, présente sa conception d’un État idéal, une sorte de société égalitaire dirigée par une élite intellectuelle ; d'Aristote (IVe siècle avant JC), que l’on a tendance à présenter comme un précurseur de l’état de droit libéral ; de Démosthène, le grand représentant de l’éloquence athénienne, qui a écrit les Philippiques, diatribes contre le roi de Macédoine qui menaçait les libertés athéniennes » ; de Cicéron ( Ier siècle avant JC), le grand orateur romain et l'auteur de nombreux discours « républicains » ; ou encore de Plutarque (Ier siècle avant JC), moraliste et historien apprécié à la Renaissance (laquelle voue un culte à la vertu romaine et à l’idéal antique).

Bref, Jean le Sauvage détient une solide culture politique et « subversive ».

Le Sauvage apprécie également les Belles-Lettres. Les auteurs que Payen cite sont connus pour leur ironie et leur esprit contestataire et satirique :

- Lucien de Samosate (Ier siècle après JC) est considéré comme « le Voltaire de l’Antiquité ». Il fait le procès de toutes les vanités, de toutes les impostures, de la dureté des riches mais aussi de la jalousie des pauvres. Dans Le Dialogue des Morts, il ridiculise tous les dieux grecs.

- Didier Erasme, avec qui le grand-père de Le Sauvage avait correspondu, écrit lui aussi un livre satirique, intitulé Éloge de la Folie. C’est un grand humaniste et un intellectuel européen avant la lettre, très critique envers l'Église, mais qui restera catholique.

- Quant à Rabelais, son œuvre burlesque et provocatrice est bien connue. Mais il reste lui aussi catholique.

Dans cette liste, il ne manque que Montaigne (un oubli ?).

Grâce à son esprit, le Sauvage peut se permettre de critiquer l'Église et le roi, sans trop en avoir l’air. Grâce à l’humour, la critique « passe bien ». Payen trouve pourtant que c'est ce qui le rend dangereux et le considère comme l'un des principaux responsables des émeutes.

Dans le texte suivant, on apprend qu’il a vu en Espagne l’inquisition en pleine activité, qu’elle faisait horreur aux catholiques eux-mêmes. Son témoignage est important et les seigneurs ne veulent pas qu’elle s’installe davantage chez eux. C’est même pour cela qu’ils ont pris les protestants sous leur protection. Cela montre que l’esprit de tolérance tend à se développer à cette époque, au moins dans une certaine « élite ».

Ainsi, ce portrait de Jean le Sauvage donne à voir un personnage attachant, un lettré, un esprit tolérant et cultivé… bien différent de nombre de Seigneurs encore semi-illettrés, ne pensant qu’à chasser ou à guerroyer… C'est un esprit de son temps, celui de la Renaissance.


2.3.4. Autres sources concernant Jean le Sauvage.

Ces témoignages confirment le rôle que notre seigneur a tenu dans les émeutes. Mais sont-ils tous fiables ? A-t-il réellement encouragé les destructions ou a-t-il simplement été « débordé » ? Voici ce qu'en disent d'autres témoins ou historiens.

Jean Sohier (un contemporain du Sauvage) dit de Jean le Sauvage qu'« il a été assistant aux prêches ».

Morillon (prévost de la collégiale d’Aire sur la Lys) l'évoque de manière brève mais significative : « Un pâtenôtre [chapelet] au col, un Pantagruel [un livre de Rabelais] à la main, il a conduit toutes les menées et prêches tenus aux quartiers de Lille, Lalleu et La Bassée. »2.

Dans Les casseurs de l’été 1566 (1981), A. Lottin écrit ceci : « Le rôle majeur par Jean Le Sauvaige, seigneur d’Escobecques, non seulement au pays de Lalleu, mais en Artois et dans la châtellenie de Lille, est souligné de toutes parts. Le mémorialiste arrageois, Pontus Payen, catholique archarné écrit que ce «  personnage doué d’une éloquence admirable.. a fait perdre une infinité de povres gentilshomes, quin’estoient assez rusez pour descouvrir le poison mortel que couvoit le doux langage d’un tant brave discoureur ». Sa maison de Ligny-en-Artois est considérée comme le sanctuaire des gueux. Le curé de Fleurbaix a « entendu dire que le seigneur d’Escaubecque etoit principal protecteur et favorisant ausdicts sectaires » ; pour cette raison il s’est adressé à lui et au seigneur de Noyelles, « afin de commanderà ceux de La Venthie de les laissier en paix », ce qu’ils firent. Pour Jehan Sohier, marchand de bois à Laventie, c’était «  bruit commun que les sectaires estoient conseillerz et aidez dudict seigneur d’Escaubecqueet estoit tenu et réputé pour leur capitaine ». Le curé de Richebourg ajoute que les calvinistes « estoient bien heureux d’avoir ung tel protecteur et chief ». Morilon dans la correspondance qu’il échange avec Granvelle dénonce le rôle essentiel que tient ce noble en ces quartiers. Après les batailles de wattrelos et de Lannoy, commentant l’issue désastreuse de cette prise d’armes pour de nombreux ouvriers et paysans, il conclut : « Tous sont morts sur ce que Escaubecque leur at faict faire ». ». A. Lottin évoque également Jean le Sauvage dans La Révolte des gueux (2007).

Un témoignage du ré de Richebourg (« Conseil des troubles », n°91) contient ceci : « A ouy dire à aucuns des dicts sectaires que le seigneur d’Escaubecque les assistoit et les conseilloit et estient heureux d’avir ung tel protecteur et chef ».

César Jourdin, dans Estaires, essai historique, cite un livre paru en 1902 écrit par un moine du Mont des Cats, Don Eugène Arnould, et en publie des extraits : « En 1566, paraît dans ces régions Jean le Sauvage, seigneur d’Escobèque et Ligny. Les calvinistes de Merville, Estaires et Lalleu se portèrent en masse pour le secourir quand on voulait l’arrêter dans son château de Ligny. Philippe, seigneur de Bailleul aux Cornailles; Eustache de Fiennes, seigneur d’Esquerdes ; Charles de Langastre, Adrien de Bergues, seigneur d’Olhain; Jacques de Rosimbos, fils de Pierre, chambellan de Charles-Quint ; Jean d’Estournel, seigneur de Vendeville au château du Doulieu, agitaient le pays d’Estaires, surtout le fameux Henri de Nédonchel, plus connu sous le nom de Honnecamp. » ; « Il est juste de dire que ces forcenés [les Gueux] trouvaient aide et protection parmi les seigneurs de Flandre et d'Artois qui fréquentaient les prêches protestants et soutenaient ouvertement les Gueux en raison des profits qu'ils tiraient de leurs pillages. De ce nombre était Jean le Sauvage, seigneur d'Escobecques et de Ligny (près de Beaucamps) ; Philippe, seigneur de Bailleul, Jean d'Estourmel, seigneur de Vendeville, dont le château du Doulieu était la citadelle calviniste du pays ; Jacques de Rosambos, parent de l'abbesse de Beaupré, et enfin Henri de Nédonchel, fameux sous le nom d'Hannecamp. A Estaires, la société des Arbalétriers se composait presque exclusivement de calvinistes, dont Mathieu Chavatte, roi de la Confrérie. Le mot d'ordre avait été donné pour détruire en même temps, le 15 août 1566, fête de Notre-Dame, toutes les églises de l'Alleu et des environs. Ce jour-là, il y eut deux prêches protestants sur le marché d'Estaires un en français, l'autre en flamand par le prédicant de Bailleul. Le Seigneur de Vendeville y assistait, entouré de la compagnie des arbalétriers, et enrôlait des hommes d'armes sur l'ordre du prince hollandais de Nassau. Après ces furibondes prédications, les sectaires se portent en masse sur l'église d'Estaires, où Le Josne, hôtelier de la taverne des trois rois, apporte des tonneaux de bière pour rafraîchir les pillards. Verrières, statues, autels, crucifix, tout est brisé. »


2.4. Exil, confiscation des biens et mort de Jean le Sauvage.

Jean Le sauvage, seigneur d’Escobecques, est banni le 13 avril 1568. Il est accusé « d’avoir été un des principaux de la Ligue des gentilshommes confédérés… [ainsi que] d’avoir ému le peuple de son quartier et à l’environ à tumulte et rébellion ». Après avoir suivi Orange, il est précepteur dans une famille princière en Allemagne. Exclu du pardon de 1574, il ne rentre qu’en 1577 et meurt six mois après.


Nous résumons ci-dessous son patrimoine et ses revenus tels qu’ils figurent dans le compte des confiscations de Lille :

- Une maison avec jardon et motte, prés et bois de 5 bonniers3 et une grande cense de 24 bonniers 6 cents, sises à Escobecques baillée pour 50 florins, 144 rasières de blé et autant d’avoine, 100 livres de beurre, un pourceau, 400 faisceaux et 400 fagots d’un demi-bonnier de bois qui se coupent à six d’âge, 4 douzaines de lin. Total : 380 florins.

- Une maison et cense à La Cauquerie de Ligny, de 75 bonniers 6 cents, loyer en argent et essentiellement en nature comme dessus : 937 florins.

- Une maison et cense du Brusle à Santes, 12 bonniers 6 cents : 157 florins.

- Un petit manoir avec un moulin à vent et 7 cents de terre à Beaucamps-Ligny : 99 florins.

- Dix bonniers 5 cents à Wavrin et un droit à Fournes en weppes : 207 florins.

- Des rentes héritières : 130 florins.

- Des rentes seigneuriales et foncières : 654 florins.


Quant au château de Ligny avec donjon, jardin de plaisance et brasserie, il est loué pour une faible somme dans un premier temps, à charge de remettre en état des bâtiments. Ensuite il est accordé gracieusement au capitaine espagnol Alonso de Padilla, en mai 1570. Ceci est sans doute lié à l’incendie de la grande cense de Ligny survenu en mars 1570. Ce sinistre est probablement dû à l’activité intense des «  bocquetaux » qui rançonnent les paysans à cette date (selon les rapports du gouverneur Rassenghien). On peut penser à un acte terroriste des Gueux des bois, car le curé de Tourcoing, Pierre Famelart, qui avait déposé contre les cateurs de la farce de Mouvaux, est assassiné quelques mois après cet incendie. La reconstruction de cette cense coûte environ 2500 florins et il faut couper et vendre du bois pour la financer partiellement.

Au total, les biens immobiliers confisqués à Escobecques dans la châtellenie de Lille produisent pour quatre ans (1568-1571) 11 136 florins, ce qui représente une moyenne annuelle d’environ 2800 florins, sans compter le château ; Jean Le Sauvage possède très probablement quelques biens ailleurs. Dans le compte que nous avons cité, il est fait mention d’une terre dite Leekerland, près de Gand, qu’il aurait vendue. Dans les comptes de Douai sont évoqués deux coffres de cuir bouilli et un tonneau saisi dans la seigneurie des Planques.

De cette étude sommaire des confiscations de biens de quelques gentilshommes confédérés, il ressort que certains de ces gentilshommes (Esquerdes ? Lumbres ? Hannescamps ? etc) étaient peu aisés, vu leur statut. Ils pouvaient donc être soupçonnés de vouloir s’emparer de biens de l'Église ; mais c’est leur faire a priori un procès d’intention. D’autres, tels Longastre et Escobecques, ne paraissent pas dans le besoin ; ce sont des lettrés et des humanistes férus des Écritures Saintes et d'autres ouvrages. Notons que les uns et les autres ont tout risqué pour leurs convictions, perdant pour elles leurs biens et parfois leur vie. Comme le proclamait la devise des Gueux gravée sur leur médaille, ils ont été « fidèles jusqu’à porter la besace ».


Document 18.






Document 19 : extrait de la « Revue de 




numismatique belge », 1572-1872.








Document 20 : extrait de La Révolte des gueux, d'A. Lottin. 
Ce nom de gueux répété avec enthousiasme frappa si vivement les imaginations que dès les jours
suivants les confédérés parurent publiquement en costume de gueux, vêtus d’une grosse étoffe
grise, ayant à la ceinture une petite écuelle de bois, au chapeau une petite tasse, un petit plat ou
une petite bouteille, et au cou une médaille qui d’un côté représentait l’effigie du roi avec ces
mots : « Fidèles au roi », et de l’autre deux mains entrelacées avec ces mots : « jusqu’à la
besace ». Ils ajoutèrent à ce costume une nouvelle marque qui contribuait encore à leur donner
une ressemblance plus frappante avec les gueux en laissant croître sur la lèvre supérieure une
épaisse moustache. Ils adoptèrent une formule de serment exprimée dans ces deux mauvais vers
« Pir ce pain par ce ici et par celle besace Gueux ne changeront point quelque choie qu’on fasse
point ».

Le Sauvage parvient à s’échapper et à se réfugier chez un prince allemand. Ses biens sont importants. Il rentre chez lui en 1577, atteint d’une maladie de la gorge. On lui attribue ces mots : « C’est là où on a péché qu’on est puni », ce qui signifie que c’est à cause de son éloquence qu’il a été châtié par Dieu. Pour un peu, on affirmerait qu’il est mort en odeur de sainteté. C’est un procédé courant chez les apologistes catholiques que de faire revenir la brebis égaré au bercail. Dieu a raison même des pécheurs les plus endurcis. C’est ainsi que dans les années 1930, on prétendait encore dans des milieux bien pensants que Voltaire lui-même, l’anticlérical type, avait souhaité mourir muni des saints sacrements ! Essuyant un refus, de rage, il aurait avalé d’une traite le contenu de son pot de chambre. C’est évidemment une pieuse légende dénuée de tout fondement.

Jean Le Sauvage fut condamné à mort le 26 avril 1568. La sentence, prononcée par contumace, ne fut pas exécutée.

Ses funérailles furent célébrées au Château de Ligny, le 3 Décembre 1577





Document 21 : 
Descobecque, se voiant desnué de tous biens, se mit au service du Prince
d’Allemaigne, qui fut très aise de recouvrer ung gentil homme tant accort
pour instruire ses enfants, et par ce moyen s’entretint assez honnestement
durant son exil jusques à la pacification de Gand, qui le remit en ses biens,
desquels toutes fois il ne
sceut jouir longtemps : car environ demy an après qu’il fut de retour en sa
belle maison de Ligny près de Wavrin, chastellenie de Lille, fut saisie d’une
squinanchie [maladie inflammatoire de la gorge] dont il mourut, faisant
profession de la Religion Catholicque et détestant les erreurs de Calvin. Il
avoit la langue tellement enflambée et enflée qu’il ne pouvait parler, et
néantmoins répétoit continuellement ceste sentence : in quo quis peccat, in
eo punitur [on est puni par là où l'on pèche], encores que ce fust avecq une
extrême difficuté.


2.5. Le château de Jean le Sauvage.

Le château de Jean le Sauvage a été représenté par un aquarelliste du XVIIe siècle. Beaucoup plus tard, un autre château, de style XVIIIe ou XIX, subsiste jusqu’à 1918, date à laquelle il est détruit.


Document 22 : le château de Jean le Sauvage au XVII ème siècle.


Document 23 : le château de Ligny peu avant 1914.






Document 24 : le château de Ligny en 2010.

 


Conclusion

A travers cette étude, nous avons donc essayé de faire sortir de l’oubli le seul personnage d’Escobecques qui ait, selon nous à juste titre, laissé quelques traces dans l’histoire. Il demeure pourtant difficile d’aller plus loin dans la connaissance de Jean le Sauvage, faute de documents (contrairement à d'autres seigneurs de l'époque, comme par exemple le sire de Gouberville, Jean le Sauvage ne nous a pas laissé de journal). Toujours est-il qu'à travers le portrait de cet humaniste, c'est toute une époque qui se dessine : celle, complexe, des troubles religieux du XVI ème siècle.






1. Source : J. Isaac, Histoire 3ème. ->

2. Propos cités par A. Lottin. ->

3. 1 bonnier = 1.42 ha ; 1 cent=1/16 bonnier = 8 ares. ->


4. 


Erreur de prénom. Il s'agit bien de Jean, et non de son frère François, qui était le seigneur du Maisnil. ->

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Mon nom est Hervé Lefebvre de Lattre. Ma famille a possédé jusqu'en 1808 le fief de Ligny. "Historien" de la famille j'ai quelques photos et documents que je peux mettre à votre disposition.

Voici mon mail : hl-de-l@wanadoo.fr

amicalement à toute l'équipe municipale et en particulier à Frédéric Motte.

PS La plaque au cimetière de l'ancienne église à Ligny a été apposée en juin 2000 par mes frères et moi. Je suis à ce jour le dernier des trois.... J'habite en Charente Maritime, mais je compte me rendre sur Lille en juin. Une possibilité de se voir?

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